Recensement agricole: remettre l’église au milieu du village !

Une photographie de la démographie agricole plutôt rassurante. Credit Daniel Jędzura/Adobestock.jpeg

Le ministère vient de livrer les premières informations du recensement agricole. En scrutant attentivement les premières images, la photo est plutôt rassurante et s’éloigne des clichés souvent ressassés.

À première vue, une exploitation agricole sur cinq a disparu en dix ans. Effectivement, nous sommes passés de 490.000 à 390.000 exploitations, ce qui paraît inquiétant. En parallèle, la surface moyenne des fermes a crû de 25%, passant de 55 à 69 ha, ce qui peut paraître énorme. En fait, un raisonnement détaillé et exempt de tout parti pris ou a priori de posture donne une couleur plutôt souriante à cette photo trop statique.

La restructuration de l’agriculture ralentit

La moitié de la baisse du nombre total des exploitations est le fait d’entreprises réalisant moins de 2.000 euros de recettes par mois ! Par ailleurs, il y a presque 15.000 sociétés en plus, c’est-à-dire des agriculteurs qui ont décidé de se regrouper pour continuer leur métier en travaillant ensemble. La perte d’exploitations "économiques" doit donc être plutôt de l’ordre de 40.000, soit une baisse d’un peu moins d'1% par an.  Concrètement, cela représente, en moyenne, la disparition d’une exploitation par commune en dix ans ou à peine plus !

La concentration des exploitations agricoles se poursuit donc, mais à un rythme nettement ralenti. Les exploitations agricoles réalisant plus de 250.000 euros de chiffre d’affaires progressent, mais seulement de 200 par an au niveau national. On demeure donc dans un contexte d’exploitations familiales de petite taille. Le nombre de travailleurs par ferme (familiaux et salariés) est passé d'1,5 à 1,7 ! Avant-guerre, les exploitations familiales avaient bien davantage de salariés pour conduire les attelages.

Les exploitations d’élevage ont, elles, diminué de 30%, ce qui est beaucoup, mais le nombre d’animaux n’a baissé quant à lui que de 7%. Il y a donc eu une augmentation importante de la taille moyenne des exploitations spécialisées en élevage. Cette augmentation est d’ailleurs bien supérieure à celle des exploitations de grandes cultures. L’importance de la concentration des élevages est une des surprises de cette photo.

La surface agricole totale de la France a baissé d'1% en dix ans, soit un rythme trois fois moins rapide que sur les trente dernières années. Notre capacité de production et notre souveraineté ne sont donc, de ce point de vue, nullement en péril.

Les emplois agricoles baissent de 11%, mais surtout changent

Si le nombre total des exploitations baisse de 21%, celui des emplois en équivalent temps plein ne baisse, lui, que de 11%. Cela montre que le système du travail se transforme très rapidement. Les aidants familiaux sont en train de disparaître, leur nombre a baissé de 40% en dix ans. Ils ne représentent plus aujourd’hui que 8% du travail dans les fermes françaises. Ce mouvement est le reflet d’une professionnalisation et d’un progrès statutaire. On peut être surpris de voir que le pourcentage de femmes cheffes d’exploitation est stable à 26%. Il faut attendre davantage de données pour analyser ce chiffre et savoir s’il y a vraiment une stagnation de la féminisation de l’agriculture.

De même, le taux de pluriactivité des chefs d’exploitation a tendance à baisser, alors qu’on aurait pu penser le contraire. Là aussi, attendons de nouvelles données pour dépasser l’effet de la forte baisse des micro-exploitations.

Mais l’évolution la pIus importante pour l’avenir est l’augmentation significative (8%) du nombre de salariés en CDI dans les exploitations. L’emploi salarié représentait 28% du travail en 2010; il en représente 33% aujourd’hui et sera sans doute proche de 40% en 2030. L’enjeu de l’emploi salarié est donc fondamental pour l’avenir en matière de recrutement, de formation, de management, de perspective de carrière et surtout de reconnaissance.

L’efficacité du travail à l’hectare cultivé n’a augmenté que d'1% par an. La surface agricole par équivalent temps plein est en effet passée en dix ans de 36,4 ha à 40,6 ha. On peut se demander si cela est suffisant et ne traduit pas plutôt d'une faiblesse pénalisant la rentabilité des exploitations françaises.

Demain, il y aura moins d’exploitations agricoles à reprendre !

Depuis des années, nous avons tendance à dramatiser l’enjeu du renouvellement. Soulignant que la part des agriculteurs âgés de plus de 50 ans augmente (58%, soit 6 points de plus qu’en 2010), beaucoup d’analyses annoncent une vague déferlante de départs. C’est, à mon avis, un contresens et il est faux d’annoncer une augmentation des départs, bien au contraire !

En 2010, il y avait 314.000 exploitants âgés de plus de 50 ans. Ils ne sont plus que 287.000 en 2020. Par ailleurs, le nombre d’agriculteurs exploitant en société a augmenté de 10% en dix ans et leur poids est passé de 30 à 40% du nombre total des exploitations. Dans les années à venir, il y aura donc, tout simplement, nettement moins d’exploitations à reprendre que dans la dernière décennie.

Cela n’enlève rien au fait qu’il faut des repreneurs compétents, formés et motivés.

La formation des agriculteurs: un enjeu qui reste essentiel

En 2020, 17% des agriculteurs âgés de moins de 40 ans n’ont pas le Bac, 40% ont seulement le Bac et 43% ont un diplôme supérieur. Cela veut dire que, dans un monde en mouvement rapide, dans un contexte de variabilité des prix des produits, avec une transition agroécologique à assurer, plus de la moitié des jeunes chefs d’exploitations agricoles ont arrêté leurs études au Bac. Cela montre, malgré les progrès indéniables réalisés, l’importance de la formation initiale, du parcours de début de carrière, mais surtout de la formation continue et de l’accompagnement pour réussir un métier qui est, à l’évidence, de plus en plus complexe.

Les exploitations se transforment assez vite

Les premiers résultats qualitatifs publiés concernent surtout ceux qui visent à analyser une montée en gamme, un angle de vue ministériel bien spécifique!

Le nombre d’exploitations en agriculture biologique a été multiplié par 2,5, et aujourd’hui, ces dernières représentent 12% des exploitations. Hormis pour les microfermes, le pourcentage d’exploitations bio décroît avec la taille, même si les fermes de plus de 250.000 euros de chiffre d’affaires cultivent presque un tiers de la surface totale en bio.

Le nombre d’exploitations commercialisant en circuit court a augmenté, mais finalement moins que ce que l’on pourrait croire: "seulement" de 4.000 en dix ans, soit à peine 4 par département et par an. En 2020, presque un quart des exploitations y ont recours et cela pour les petites, comme les grandes exploitations.

Vers 320.000 exploitations en 2030 ?

En projetant à l’identique la dynamique actuelle, on peut imaginer qu’en 2030, il pourrait y avoir autour de 320.000 exploitations agricoles faisant travailler 440.000 agriculteurs (350.000 ETP) et 160.000 salariés en CDI. Cela représenterait 55.000 agriculteurs en moins et 20.000 salariés en plus. La restructuration de l’agriculture française ralentit donc; elle reste constituée d’exploitations à taille modeste, et l’enjeu du salariat agricole devient une question majeure.

Jean-Marie Séronie- Agroéconomiste - Académie d’Agriculture de France

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