« J’ai plaidé pour la conservation des quanta »

Edgard Pisani ministre de l'Agriculture de 1961 à 1966 sous la présidence de Charles de Gaulle. Photo : N.Ternois/Pixel image

Il y a dix ans, en 2006, nous avions interviewé Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture de 1961 à 1966, au sujet de l’installation. On retiendra de son action la loi d’orientation agricole de 1962 qui engagea l’agriculture française dans une nouvelle ère… Morceaux choisis.

 

Avec le recul, quelle analyse portez-vous sur votre politique ?

Edgard Pisani : Je suis à la fois fier et mécontent. Je n’imaginais pas, et je ne voyais pas, que l’évolution des techniques, du marché et des rendements bouleverserait à ce point l’évolution de la société et de l’agriculture. Je sentais bien une forme de fuite en avant, mais je n’en avais pas une conscience précise et certaine. Pourtant, je me suis battu, mais j’ai été battu, en Conseil des ministres.J’ai notamment plaidé pour la conservation des quanta, qui fixaient pour le blé un prix dégressif selon les quantités, ce qui prouve bien que j’avais le sentiment du risque, mais que je n’en prenais pas la mesure. Nous aurions dû faire plus, pas en donnant plus, mais en créant les conditions d’une meilleure rentabilité du travail. On ne peut pas faire en sorte que les agriculteurs soient subventionnés en permanence. C’est la bataille actuelle. Le pari est d’éviter que soient mises en concurrence une agriculture comme celle que nous avons en France, où le travail sur la terre coûte cher, et une agriculture fondée sur d’énormes surfaces et une main-d’œuvre bon marché.

 

Quel est votre point de vue aujourd’hui sur l’installation dans le monde agricole ?

E. P. : Les agriculteurs européens ont vécu une période favorable, protégés par la PAC. Ils ont cru en l’avenir, ce qui n’a pas empêché le nombre de fermes de diminuer des deux tiers. Mais avec la suppression des aides, l’incertitude est devenue presque pathétique, voire insurmontable. Comment conseiller à son fils de rester sur la terre ? On ne se rend pas compte du rôle de l’agriculture dans une société comme la nôtre. Il y a une forme de « déterritoirisation », où l’agriculture n’est plus régie par son lien à la terre, mais à celui du marché. C’est une menace pour notre civilisation.

 

Selon vous, quel avenir l’agriculture offre-t-elle aux jeunes ?

E. P. : A contrario de ce que nous pouvions vivre il y a 50 ans, la cohabitation des générations peut aujourd’hui durer 10 ou 15 ans. Il y a 20 ans, le marché du travail était accueillant. Il ne l’est plus aujourd’hui. Quitter la terre, c’est aller en ville et prendre le risque d’y connaître une vie précaire.De ces deux faits, une leçon : autre chose est de succéder, autre chose de s’installer. D’autant que l’installation dans une « ferme » est une entreprise coûteuse. La conduite d’une exploitation n’exclut pas la pluriactivité, qui a tendance à se développer comme se développe le travail extérieur des conjoints.Les problèmes que pose l’environnement ne pourront bientôt être résolus que par la création d’emplois qui peuvent être nombreux. Même « à la campagne », l’agriculture n’est pas seule au monde. La filière agroalimentaire et le travail à distance que permet l’ordinateur créeront aussi des emplois à plein-temps ou à temps partiel. Inadaptées à la réalité, ces considérations n’auraient guère eu d’utilité il y a un quart de siècle. Elles sont d’autant plus pertinentes aujourd’hui que les jeunes agriculteurs sont allés au collège ou au lycée, où ils ont reçu une formation qui les prépare à des activités « complémentaires ». 

Rendez-vous sur Circuits culture pour la suite de l'interview…

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