Des collections de semences menacées par le conflit syrien

Des collections de semences menacées par le conflit syrien. © Argus et Singkham/Fotolia

 

L'Icarda, Centre international pour la recherche agricole spécialisé dans les zones arides non tropicales, avait historiquement établi ses bureaux, ses champs d’expérimentation et sa banque de gènes à 33 km au sud d’Alep, en Syrie. Créé il y a tout juste 40 ans, l’Icarda a déployé quatre grands axes de recherche pour améliorer la productivité agricole et les systèmes agraires : in fine, son travail permet d’accroître le niveau de vie des populations locales établies dans ces zones arides non tropicales, tant en Afrique qu’en Asie ou en Amérique.

En 1983, l’Icarda se dote d’une unité de ressources génétiques : elle les collecte, les caractérise et les stocke dans des banques de gènes, puis les met à disposition des chercheurs et sélectionneurs à travers le monde.

Pour le directeur de cette unité qui emploie 19 salariés permanents, Ahmed Amri, « cette mission est essentielle pour les efforts d’amélioration génétique. C’est de là que viendront des solutions pour obtenir de nouvelles variétés plus performantes au service de la sécurité alimentaire, à la qualité nutritionnelle, ou encore l’adaptation au changement climatique. Cette organisation nous aide également à réhabiliter ou restaurer des systèmes dégradés, en collectant et multipliant ces ressources génétiques ».

L’Icarda stocke des variétés locales anciennes issues des différentes zones arides non tropicales du monde, comme le pourtour méditerranéen, le croissant fertile, le centre abyssinien, etc. Il possède également une riche collection d’espèces sauvages apparentées et une grande collection d’espèces fourragères et pastorales.

Les variétés sont ainsi conservées dans des frigos, à température et humidité contrôlées, pour un minimum de 30 ans et parfois plus de 100 ans.

« Depuis 1983, nous avons fait 248 missions de collecte pour enrichir nos collections. Nous avons un stock de 141052 échantillons de 630 espèces, dont 480 espèces pastorales. Nous les multiplions en quantité suffisante puis réalisons des copies de sécurité, pour pallier les destructions de tout type, tremblement de terre ou conflits… », raconte le directeur de l’unité, qui occupe également le poste de directeur adjoint du programme de biodiversité et d’amélioration génétique à l’Icarda.

Ainsi, quand le conflit éclate en Syrie, 98% des échantillons ont déjà des duplicatas dans d’autres banques de gènes à travers le monde ; comme au Cimmyt1 ou l’Icrisat2. De plus, quand en 2008, le gouvernement norvégien crée le Svalbard, l’Icarda décide d’y déposer une seconde copie de sécurité pour assurer la conservation de sa collection à plus long terme. « En six ans, nous avons envoyé 116475 échantillons, soit 80% de ce qui était à Alep », chiffre Ahmed Amri.

Retournons à Alep justement : « En juin 2012, nous avons été contraints d’évacuer le personnel étranger, se souvient le directeur de l’unité. Seuls les Syriens ont pu continuer de travailler, jusqu’à l’été dernier, où on leur a interdit d’être dans cette zone, prise en étau entre les rebelles et le gouvernement ». Si les bâtiments de l’Icarda et les matériels de bureaux sont utilisés par les rebelles, il semblerait que la banque de gènes existe toujours et n’ait pas été touchée dans les affrontements. « Dans le malheur qui frappe ce pays, c’est une grande chance, estime Ahmed Amri, car il semble que les rebelles ont compris l’intérêt de conserver les ressources génétiques. »

Cela étant, face à la fragilité de la situation, l’Icarda décide dès 2014 de recréer les banques de gènes au Liban et au Maroc. Grâce à de nombreux soutiens3, l’Icarda peut reprendre ses activités. Le gouvernement marocain met à disposition des terres – plus de 100 ha – et des bâtiments… il ne reste plus que les échantillons à multiplier ! « Le plus simple a été de contacter le Svalbard, raconte le directeur de l’unité. En octobre 2015, nous avons retiré 38000 échantillons d’espèces cultivées et sauvages de blé, orge, pois chiches, lentilles, fèves et grass pea. Nous les avons multipliées l’an dernier et cette année. Nous en avons ramené 15000 échantillons au Svalbard pour réalimenter ces stocks. Les 23000 échantillons restants seront rapportés en octobre, et nous récupérerons à ce moment-là un nouveau lot de 38000 échantillons… » Le personnel de l’Icarda réalisera ces allers-retours pendant encore 5 ou 7 ans afin de reconstituer tout ce qui était à Alep. Et pour certaines espèces pastorales qui demandent des exigences d’isolement ou de pollinisation par exemple, le processus pourra courir jusqu’en 2030.

 

(1) Centre d’amélioration international en maïs et blé / International Maize and Wheat Improvement Centre

(2) Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides / The International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics

(3) citons notamment : la communauté internationale via le consortium des centres internationaux de recherche agricole, le Global Crop Diversity Trust, le fonds arabe pour le développement socio-économique, le fonds koweitien, les gouvernements marocains, libanais et allemand, et divers donateurs.

 

 

Les 3 grands axes de recherche de l’Icarda

1 / Création de nouvelles variétés améliorées adaptées à la chaleur et la sécheresse, en orge, blé, lentilles, pois chiches, fèves et grass pea ; et conservation et utilisation durables de l’agrobiodiversité.

2 / Diversification des systèmes de production et intensification des systèmes de production, qui inclut les aspects de recherche sur les petits ruminants, l’amélioration des parcours, les études socio-économiques et de politiques agricoles.

3 / Gestion intégrée des terres et eaux : irrigation, eaux usées, eaux salées.

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